Edouard

 

1. Edouard Ch.... Il est né le 30 août 1884, à Vallières (Haute-Savoie). Son père Joseph, 37 ans au jour de sa naissance, est cultivateur. Sa mère, Joséphine E... est « ménagère ». Elle a 40 ans. Il a des sœurs, Anna et Philomène. La famille connaît alors, et connaîtra, des dissensions. Certains choix d’Edouard déplaisent. Nous n’en saurons pas davantage.

Il est un temps clerc de notaire à Rumilly, puis s’associe à son ami César Anthonioz pour fabriquer de l’huile. Des "huiles douces de table »

 

L’entreprise cesse ses activités en 1910. César s’installe à Paris. Les deux associés restent amis.

La guerre le surprend en 1914, employé dans une entreprise alimentaire, la fabrique de pâtes Carle à Annecy. Entre 1914 et 1919 il est mobilisé.

Les Allemands sont désignés comme les Méchants absolus. Ils sont, en été 1914, les « Prussiens » de « sales Allemands », des «Alboches ». Le temps les transforme : d’abord en « Boches », Edouard n’oublie pas la majuscule, signe d’un respect peut-être non dissimulé... envers certaines règles orthographiques méconnues par ailleurs... Au contact direct de l’ennemi à partir de 1916, celui ci perd sa majuscule. L’Allemand devient le « boche » en 1916, et le restera jusqu’au bout.

 

Finalement cet homme déteste l’autorité mais ne se dérobe pas à des devoirs. Edouard n’a rien d’un héros. « Sa » Grande  Guerre il « y va » sans barguigner. Le jour de la mobilisation, il quitte la petite fabrique de pâtes et macaronis Carle et la ville d’Annecy pour se rendre à l’appel de la Patrie. Il ne défile pas en entonnant des hymnes patriotiques. Il est à l’image de cette majorité d’hommes, ici comme ailleurs conscients de la gravité du moment et qui vont au front pour accomplir leur devoir. On espère quand même ; la rumeur circule : la paix sera signée avant le début des hostilités…

Nous connaissons la suite. Le prestige du combattant existe et ne pas combattre c’est être un planqué, un « embusqué », ce personnage honteux de toutes les guerres : celui qui ne prend aucun risque, emmitouflé dans une tâche exempte de menaces et qui s’abrite de la critique derrière les obligations militaires. Edouard  s’excuserait presque de ne pas monter au front tout de suite, occupé qu’il est à La Doua en sa fonction de Maréchal des Logis fourrier… Un excellent fourrier, si parfait exécutant qu’on le garde longtemps. Jusqu’au printemps 1916. Il y accumule les tracas : travail par dessus la tête, soucis de santé, petites et grandes servitudes militaires, hiérarchie incompétente, mais aussi (il en parle moins mais parfois les sentiments apparaissent) les copains, ceux qui partent et qu’on regrette, ceux qui écrivent une fois puis plus jamais, les bons « scribes » avec qui il travaille, les officiers compétents avec qui il fait bon discuter. Il gère les départs des hommes et chevaux au front, les arrivées aussi. Ses petits tracas, ses ennuis dont il se complait à décrire tous les aspects dans ses cartes et lettres, paraissent dérisoires face aux souffrances terribles des Poilus. Il ne méconnaît pas ces souffrances, puisqu’il signale dans ses lettres les arrivées de blessés soignés qu’il faut renvoyer sur le front. Mais il ne s’agit pour lui que d’un surcroît de travail… Ou est-ce une manière de dire de ne pas inquiéter Zizette, l’éternelle « épouvantée ».

Envoyé dans la Meuse –à sa demande ? il a probablement agité ciel et terre pour quitter cette planque - en 1916 il participe, enfin, aux combats. Et quels combats ! C’est Verdun… Il vit l’existence du poilu. Il n’en est pas peu fier, il signe « ton poilu, Edouard ». Fier, certainement, et conscient du drame épouvantable qu’est la guerre. Il vit en enfer et tente de le dire dans ses lettres. Il met la censure à l’épreuve, manie l’humour et la provocation à sa manière. Jusqu’à la colère. Mais il est toujours comptable : un petit carnet bleu où il consigne des dépenses est le témoin qu’il n’a rien perdu de ses habitudes.

 

Pour Edouard Ch... tout est important, il traite chaque problème d’une humeur égale. Quelques années plus tard sa correspondance le montrera intraitable face aux paysans locataires de ses biens à Vallières (Haute-Savoie) ou même sur une simple affaire de réparation de montre bisontine, voire le règlement de ses impôts. On aurait pu penser que la fréquentation des tranchées avait pu lui inculquer le sens de la relativité des choses … Edouard Ch... aime l’ordre, la hiérarchie et les choses bien faites…  Il aime aussi avoir la paix.

 

La vie civile revenue il s’en retourne à son métier, son expertise comptable va lui permettre de vivre à l’abri du besoin et, comble du bonheur, il est enfin papa en 1923. Lucette devient sa raison de vivre.

Lorsque Louisette disparaît en 1933 il embauche une jeune gouvernante, Rosa, née dans les Vosges en 1913, venue remplacer la maman décédée, dans un premier temps. Il l’épouse à la fin de l’année 1945. Coup de jeune pour Edouard : Il a 61 ans. il passe son permis moto en 1950 et achète une Jawa. Sa retraite est belle et longue. Il meurt en 1977 à 93 ans, est enterré à Vallières dans le caveau familial près de Zizette. Rosa semble avoir quitté ce monde en cette année 2008 : l’appartement de l’avenue Bouvard à Annecy est à vendre, et l’abonnement téléphonique sur l’annuaire 2007 est toujours au nom d’Edouard  décédé pourtant depuis 31 ans.

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