lettre n°182 - des tombes entretenues avec de la mousse et des fleurs
le 20 mars 1916
Ma bien chère Zizette
Je viens de recevoir aujourd’hui en même temps tes 2 cartes du 16 et 17 mars, le colis je le recevrai probablement demain, je t’en remercie infiniment c’est surtout le rasoir qui me fera plaisir. Aujourd’hui je suis descendu avec mes 15 hommes et mon brigadier dans un pays à 10 kilomètres à l’arrière pour prendre une douche, ce qui fait 20 kilomètres aller et retour, je viens de rentrer c’est le seul patelin, le plus près où il y a encore quelques habitants, tout le reste est détruit et celui là a déjà pas mal reçu, la moitié est en déconfiture et pourtant il y a des gens qui n’ont pas évacué, voilà 22 jours que je n’étais pas sorti du trou mais j’ai été bien content de rentrer sous ma mitraille dans ma forêt. A l’arrière c’est insensé tu ne vois que des soldats qui font la noce. Ci contre[1] tu verras la croix où sont enterrés plus de 3000 hommes, Héros du bois Le Prêtre, en arrière les fils de fer barbelé et les tranchées. Ce bois est voisin du mien, souvent on tire dessus car les boches essaient de s’y introduire, d’ailleurs tu as vu tout ce qui s’était passé dans cette contrée par les journaux ; dans le mien c’est la même chose à chaque pas tu trouves des tombes que l’on entretient avec de la mousse et des fleurs. Hier dimanche il faisait un temps superbe, j’ai fait ma lessive, je lave tout et c’est propre, je raccommode aussi, je fais ça mieux qu’une femme, j’épate mes camarades et je suis toujours propre comme un sou, heureusement que je me débrouille de cette façon, je n’ai pas de vermine, car il y en a qui sont rongés par les totos (les poux). Je t’envoie des violettes et d’autres fleurs de ma forêt. Au plaisir de te lire, Reçois ma chère Zizette ainsi que maman mes plus tendres baisers. Votre poilu, Edouard.